À deux pas de la vieille maison du docteur se trouve la boutique d’Aimeline, petit bazar de province où l’on peut acheter de tout. Menue comme un ortolan rôti, Aimeline a quatre-vingt-deux ans et un sourire enchanteur.

— Je savais qu’il aimait les femmes ! Et les gens le disaient aussi…mais c’était un si joli garçon…Ah ! Il aimait la vie ! Il était de stature, disons, moyenne…il se mesurait avec mon grand-père devant la glace. Monsieur D. ! il ne serait pas allé voir des traînées, ah, ça non… Madame D. était danseuse. L’hiver, elle était au Grand-Théâtre de Bordeaux. Et l’été, elle dansait à Pau. Elle avait quitté la danse pour vivre avec lui. On dit qu’ils étaient mariés…J’étais petite, je l’ai su par ma grand-mère. Il était croyant. Sa femme allait à la messe. Mais durant quarante ans, il n’alla pas à la communion. Sa femme non plus. Le pays jasait. Or, un jour, c’était en juin 1945, ils se sont approchés de la Sainte Table. Le pays jasait toujours…Julie LaFamille, sa sœur aînée, avait été élevée dans la religion…elle avait une mentalité bourgeoise affirmée, son mari était propriétaire forestier, il avait une usine à bois, il faisait de la caisse… elle, elle n’admettait pas que son frère vive avec une danseuse. Elle n’est jamais allée chez lui.
Silences en forêt, p. 47