Les Ukrainiens ont-ils une âme ? Oles Pliouchtch mène l’enquête…

Une rencontre organisée à la Bibliothèque Ukrainienne par Oksana Mizérak, responsable du Club littéraire ukrainien.

Ce samedi 26 novembre 2016, la petite salle de la Bibliothèque Petlioura était pleine : qu’allait répondre Oles Pliouchtch à cette intéressante question : le peuple ukrainien existe-t-il ? Si oui, quel rapport entretient-il avec son âme ? Et puis, à quoi sert un poète ? Trois grands écrivains et poètes ukrainiens furent alors convoqués pour témoigner: Gogol, Chevtchenko et Tytchyna.


Nicolas Gogol (1809-1852)

« Ecrivain russe d’origine ukrainienne né en 1809 dans le gouvernement de Poltava, Empire russe… », dit le dictionnaire. Donc, écrivain « petit-russien » car dans l’Empire russe de cette époque, écrire en ukrainien ne se conçoit pas. D’ailleurs, Gogol affirme : « Nous autres petits-russiens et russes, nous devons avoir notre poésie en langue russe qui enseigne les vérités éternelles de la Russie ».

Pourtant, Tolstoï lui fait remarquer : « Dans Les Âmes mortes, vous représentez les petits-russiens agréables et les russes désagréables ! », et Gogol de renchérir : « L’âme des Ukrainiens est incarnée dans Tarass Boulba ». Peu avant de mourir Gogol s’interroge encore : « Mon âme est-elle russe ou ukrainienne ? Je ne sais… chacune d’elle contient ce que l’autre n’a pas…»

Gogol a trahi ses origines, conclut O. Pliouchtch. Et pour cacher sa félonie, il s’est inventé une âme double. Voilà pourquoi Gogol détestait Chevtchenko.


Tarass Chevtchenko (1814-1861)

Ce fils de serf, serf lui-même, persécuté par le régime tsariste et qui passa une grande partie de sa vie en prison ou en camp, connaissait lui aussi parfaitement la langue russe ! Or il décide d’écrire dans la langue des illettrés, la langue des humiliés, la langue des moujiks…

Chevtchenko ! Poète, peintre, humaniste ukrainien qui marque le réveil national du pays au XIXe siècle, immense poète que certains Russes ont cru facile de s’approprier l’œuvre en falsifiant ses mots, en frelatant ses rimes, en russifiant sa langue ! Mais on ne russifie pas la langue des moujiks car elle porte l’âme du peuple ukrainien.

Grâce à Chevtchenko, la langue ukrainienne que l’on considérait jusqu’alors comme un dialecte de rustres sera bientôt la langue de la culture et du réveil national.

Pavlo Tytchyna (1891-1967)

Sur ce chemin d’une poésie nationale ouvert par Chevtchenko, Tytchyna, « jeune poète miraculeux » fit entendre sa voix. Imagination et sensibilité sont les ailes du symbolisme qui caractérise ses premiers recueils. Mais Tytchyna ne chantera pas librement très longtemps…seul poète de la Renaissance Fusillée à survivre, peu à peu rongé par la peur, Tytchyna met sa plume au service de Staline, et, de compromissions en trahisons, perd peu à peu son âme.

L’âme d’un peuple réside dans la langue que parlent ses paysans, ceux qui de génération en génération cultivent leur terre, et l’aiment et la défendent. On comprend pourquoi parmi les écrivains de la Renaissance Fusillée, tant de poètes disparurent au Goulag…

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Oles Pliouchtch

Il faut faire connaître l’Ukraine en France ! Aujourd’hui, on trouve encore trop peu de traductions françaises de poètes ukrainiens, et rien à la Bibliothèque Nationale, comme si une main était passée pour éliminer certains ouvrages, ainsi cette traduction de 1911 de Chevtchenko qui aurait dû normalement s’y trouver… Mais traduire n’est pas décalquer. Il s’agit de recréer l’œuvre avec fidélité, trouver en français les équivalents lexicaux, syntaxiques, rythmiques, rhétoriques ou culturels qui sonneront en harmonie avec le texte originel. Traducteur lui-même, Oles Pliouchtch s’y emploie.

Pour terminer, Oles Pliouchtch a annoncé la création d’un Prix KALYNA de la meilleure traduction de l’Ukrainien en Français.

 

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